Jean-François PERRIER
A l'heure où j'écris cet article, voici plus de 34 heures que je n'ai pas fermé l'oeil. Comme je n'ai pas la prétention d'être un cas isolé, je vais expliquer pourquoi.
A chaque début d'année, la Guyane vit au rythme
du carnaval. Celui-ci a lieu de l'Epiphanie à Mardi-gras
et cette année, cela correspond à (seulement) 5
semaines de fête.
Au menu : 2 points forts à ne manquer sous aucun prétexte, le bal du Samedi soir et le défilé costumé du Dimanche après-midi. Les deux étant naturellement clos par un vidé.
Des salles de Bal, dont les plus réputées sont Le Soleil Levant (plus communément appelé chez Nana) et La Moïna, ouvrent uniquement pour le carnaval, et rassemblent les foules au son d'un orchestre créole où les cuivres dominent.
Si l'on fête officiellement le roi Carnaval, il faut reconnaître que ce sont surtout les dames qui en profitent. Déguisées en Touloulou, c'est à dire méconnaissables, y compris et surtout par leur mari, elles se rendent seules au bal et ont tous les pouvoirs. Ce sont elles et elles seules qui invitent à danser, qui peuvent se faire inviter au bar, mais toujours de façon anonyme. Malheur à celui qui aura cherché à découvrir si sa partenaire est créole, chinoise ou métro, il risque de provoquer un scandale.
A la fin du bal, vers 5h du matin, un vidé part de Chez
Nana et rejoint le centre de Cayenne. L'orchestre, juché
avec matériel et sono sur un plateau de camion, canalise
la foule qui danse dans les rues de Cayenne jusqu'à une
place où a lieu la dislocation du cortège. Cela
correspond à près de 2h de danse non stop et permet
de réveiller, en douceur (?), les habitants de Cayenne.
Hier donc, ou plutôt ce matin, après un passage chez Nana, j'ai participé au vidé. Pour l'annecdote, sachez que le convoi est parti avec plus d'1/2h de retard par suite d'une panne sèche dans le groupe électrogène juste après le départ du convoi. C'est quand même beau l'organisation: il a fallu faire la quête pour remplir le bidon d'essence.
Le Dimanche, des groupes organisés, mais où tous ceux qui le désirent peuvent se joindre, sillonnent les principales rues de Cayenne à partir de 16 heures. Chaque groupe possède son thème (fleur, coccinnelle, panneaux routiers etc...) et en change toutes les semaines. Accompagnés par une sono sur chariot ou un orchestre improvisé, ils drainent avec eux de nombreux badauds. Il y a des groupes ethniques (brésiliens, chinois, créoles...) de quartier (Katoury, Mirza...) ou encore d'affinité (La bande des 4, Safari Inini, OS-Band...).
Le plus impressionnant, lorsqu'un groupe s'arrête et repart, c'est la synchronisation de la foule avec la musique (certaines mauvaises langues disent le bruit); il suffit d'un bruit de cymbales pour que tout le groupe, badauds compris, se mette à danser. Il est amusant d'assister au croisement de deux groupes, car il faut savoir qu'il n'y a pas d'itinéraire défini, chacun allant où bon lui semble; dans ce cas, l'orchestre redouble d'effort afin de dominer le groupe croisé en lui imposant son rythme de danse.
Quant au vidé du dimanche soir, il ressemble à celui de l'après-bal, à cela près qu'il rassemble davantage de monde et qu'il est plus violent au niveau des danses, si bien qu'il n'emprunte plus que les rues non commerçantes de Cayenne (sécurité des vitrines oblige).
Il est évident que participer au carnaval représente
certains sacrifices que beaucoup de Guyanais, ou d'Antillais en
vacances en Guyane, n'hésitent pas à réaliser.
La principale difficulté consiste en la réalisation
des costumes de Touloulous et de défilé du Dimanche,
car la tradition veut que ces costumes ne servent qu'une fois.
De plus les week-ends sont assez durs à supporter physiquement,
d'où l'absentéisme caractérisé dans
les nombreuses administrations guyanaises (rappel, cela représente
près de 70% de la population active). Les mauvaises langues
disent même que le jeudi et le vendredi sont réservés
à la préparation et que les lundi et mardi servent
à se reposer, ce qui n'est pas totalement faux. Et quand
on sait qu'en général les mercredi après-midi
ne sont pas travaillés, cela se traduit pas un ralentissement
de l'activité globale du département...
Pour finir, les jours gras (les journées de lundi,
mardi et mercredi sont traditionnellement chômées
ici), on fête successivement le mariage de Vaval (personnalisation
de Carnaval), sa mort et son enterrement, par des défilés
en costumes blancs, diable rouges puis costumes noirs. Le mercredi
soir, les mannequins représentant Vaval sont brûlés
sur la Place des Palmistes.
Carnaval se fête aussi dans les autres villes de Guyane, mais les défilés sont plus limités. Par exemple la semaine dernière, j'étais à Papaïchton-Pompidouville (un village Boni du haut Maroni, accessible seulement par 1h d'avion + 1h de pirogue depuis Cayenne) où j'ai eu la surprise d'être réveillé à 5h du matin par le vidé.
Cela dit, le carnaval en Guyane est une chose inoubliable. Le déchaînement et l'ampleur des festivités, qui augmentent d'autant plus qu'on se rapproche des jours gras, font finalement regretter que ce soit si court. Et l'on se demande après comment on peut se contenter de regarder des défilés ordonnés de chars fleuris, aussi beaux soient-ils, au son d'une fanfare de parade.
Texte écrit en février-mars 1991
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JF Perrier